Par Erik Henningsmoen et Mairead Matthews

Présenté au printemps de chaque année, le budget fédéral annonce les priorités du gouvernement en matière de dépenses.  

Le budget fédéral de cette année, axé sur la santé économique du Canada, est un plan établi par le gouvernement fédéral pour construire plus de « logements, plus rapidement, aider à rendre la vie plus abordable et faire croître l’économie pour aider chaque génération à progresser ». Il s’agit d’une réponse à l’augmentation du coût de la vie au Canada, à la baisse de la production (PIB par habitant) et à l’écart de productivité qui existe depuis longtemps entre le Canada et ses pairs de l’OCDE. Le budget 2024 met de l’avant la technologie et l’innovation comme moyen de relever les défis du Canada en matière de productivité. Il cherche à « accroître les investissements » et à « encourager le type d’innovation qui changera la donne et créera des emplois bien rémunérés et valorisants ».  

Mise à jour économique

Le budget de 2024 présente d’abord une vue d’ensemble de l’économie et des finances publiques. Il indique que le Canada a probablement évité la récession prédite par certains. Le gouvernement rapporte que l’inflation est passée d’un maximum de 8,1 % en juin 2022 à un minimum de 2,8 % en février 2024, que l’emploi reste fort, que le chômage est faible par rapport aux normes historiques, que les salaires réels ont augmenté, que l’investissement étranger direct (IDÉ) par habitant reste élevé, et que le PIB — bien qu’inférieur au potentiel — a augmenté.  

Pourtant, la population canadienne doit composer avec une hausse des coûts de l’alimentation, du logement et des produits de première nécessité; les risques que présente l’économie mondiale menacent les chaînes d’approvisionnement, le prix des produits de base et l’inflation; et le Canada doit continuer de stimuler la productivité pour la faire croître. Bien que des prévisionnistes du secteur privé et des organisations intergouvernementales prévoient une croissance économique modérée pour le Canada — avec une croissance du PIB réel de 0,7 % en 2024 et de 1,9 % en 2025 —, il existe également un scénario dans lequel l’inflation et les taux d’intérêt restent élevés plus longtemps que prévu et où le PIB réel se contracte de 0,1 % en 2024. 

Le gouvernement s’attend d’ailleurs à ajouter entre 33,5 et 48 milliards de dollars au déficit. Selon des analystes tiers (lien en anglais), en raison d’une « fourchette de dépenses de programmes comprise entre 15 et 16 % du PIB à moyen terme », le budget 2024 représente « une rupture par rapport aux 12-13 % des années Chrétien-Martin-Harper ». Quand l’État se fait plus imposant (lien en anglais), il dispose d’une capacité minimale pour absorber les chocs économiques et doit davantage justifier ces dépenses ainsi qu’en démontrer les résultats s’il veut maintenir la confiance du public.  

Préparer la main-d’œuvre canadienne à l’économie numérique de l’avenir 

La pénurie de main-d’œuvre constitue un obstacle important à l’innovation, à la productivité et à l’adoption de technologies au Canada. La préparation des travailleurs à l’économie de demain est un pilier important du plan budgétaire fédéral. Plus précisément, le gouvernement propose les mesures suivantes :  

  • Continuer de créer des stages pour les étudiants postsecondaires et aider les entreprises à recruter des talents en consacrant 207,6 millions de dollars à la prolongation du Programme de stages pratiques pour étudiants (PSPE). Les recherches du CTIC sur la valeur du PSPE pour le Canada révèlent que chaque étudiant employé dans le cadre d’un stage du PSPE génère une valeur additionnelle de 401 $ par mois pour les employeurs. De plus, grâce à leur stage dans le cadre du PSPE, les étudiants gagnent 1 038 $ de plus par mois qu’ils ne le feraient dans le cadre de leur meilleure alternative professionnelle.   
  • Fournir un soutien financier de 50 millions de dollars au Programme de solutions pour la main-d’œuvre sectorielle afin d’aider les travailleurs licenciés pour des raisons technologiques à accéder à de la formation dans le cas où leur poste a été remplacé par des technologies comme l’IA. Les emplois consistant en des tâches répétitives ou pouvant être facilement automatisés à l’aide de la robotique et de l’IA sont de plus en plus susceptibles d’être automatisés. 
  • Donner 39,2 millions de dollars à Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDE) pour passer à la phase suivante de CodeCan, qui permet aux jeunes canadiens d’acquérir les compétences nécessaires pour réussir dans l’économie numérique. 
  • Affecter 351,2 millions de dollars à la Stratégie emploi et compétences jeunesse et à Emplois d’été Canada afin de créer 90 000 possibilités de stages et de soutien à l’emploi pour les jeunes. 
  • Collaborer avec l’initiative de talent pour l’innovation du Canada afin de mettre au point un projet pilote visant à attirer, à former et à déployer des talents en R. et D. dans les secteurs de la biofabrication, des technologies propres, de la fabrication de véhicules électriques et de la microélectronique, y compris les semi-conducteurs.
  • Affecter 60 millions de dollars à Futurpreneur Canada pour que l’organisme puisse continuer à offrir des programmes d’entrepreneuriat et à outiller de jeunes entrepreneurs.
  • Fournir 50 millions de dollars à Emploi et Développement social Canada (EDSC) pour le Programme de reconnaissance des titres de compétences étrangers afin de faciliter la reconnaissance de tels titres dans les secteurs de la construction et de la santé; et accorder 77,1 millions de dollars pour intégrer plus efficacement les professionnels de la santé formés à l’étranger dans la main-d’œuvre en santé au Canada. 

Accroître les activités de recherche et développement du Canada 

Stimuler l’activité de recherche et développement (R. et D.) au Canada, ainsi que le développement et la rétention de la propriété intellectuelle (PI) canadienne, est un autre axe clé du budget de 2024. Pour ce faire, le gouvernement propose les mesures suivantes : 

  • Renforcer l’infrastructure de R. et D. du Canada en allouant 2,4 milliards de dollars à l’infrastructure de calcul du Canada et 3,5 milliards de dollars à l’infrastructure de recherche stratégique.
  • Développer les talents et la main-d’œuvre en R. et D. au Canada en augmentant le soutien à la recherche d’emploi et le financement des emplois pour les chercheurs diplômés et postdoctoraux et en collaborant avec l’initiative de talent pour l’innovation. Des recherches du CTIC montrent que l’accès aux talents en R. et D. est l’une des principales raisons pour lesquelles les sociétés de R. et D. choisissent de s’implanter au Canada; à l’avenir, il sera important que le gouvernement tire parti de cette force pour garantir la PI et les droits économiques des sociétés canadiennes lorsqu’il finance de la R. et D. contrôlée à l’étranger.
  • Augmenter le financement public en R. et D. en allouant 1,8 milliard de dollars aux conseils de recherche du Canada, en mettant sur pied une organisation-cadre de financement de la recherche pour soutenir la recherche axée sur la réalisation d’une mission, en investissant dans les secteurs canadiens des biocarburants et de l’espace, et en créant un conseil consultatif sur les sciences et l’innovation pour fixer les priorités en matière d’innovation et accroître les retombées du financement de la R. et D. Des recherches du CTIC suggèrent notamment que le financement de la R. et D. par des entreprises ayant des liens géographiques étroits avec le Canada, tels que des biens immobiliers ou des actifs physiques situés au Canada, ou un besoin d’être proche des industries, des ressources naturelles ou des chaînes d’approvisionnement canadiennes, sera important pour s’assurer que la R. et D. financée par l’État entraîne des retombées économiques positives pour l’économie canadienne.
  • Inciter les entreprises à investir dans l’innovation et la R. et D. et à protéger leur PI en bonifiant le programme d’incitatifs fiscaux à la recherche scientifique et au développement expérimental (RSDE) grâce à 600 millions de dollars supplémentaires sur quatre ans, en plus des 150 millions de dollars annuels actuels; en lançant une deuxième phase de consultations sur la façon de moderniser le programme de RSDE; et en injectant 14,5 millions de dollars dans le programme pilote collectif de brevets du Collectif d’actifs en innovation. Bien qu’il soit important de moderniser le programme de RSDE, des recherches du CTIC suggèrent que les inventeurs canadiens ne détiennent pas suffisamment de PI par rapport à la quantité qu’ils créent, ce qui donne à penser que le gouvernement doit faire plus pour encourager non seulement la R. et D., mais aussi la commercialisation de la R. et D. au Canada, par exemple en établissant un régime privilégié des brevets, un outil fiscal qui incite la PI générée localement à être également mise en marché localement.
  • Accroître l’accès au capital de risque des personnes entrepreneures en quête d’équité en leur fournissant 200 millions de dollars. 

Politiques et programmes visant à stimuler la productivité du Canada

L’une des grandes priorités du budget de 2024 est de stimuler la productivité au Canada, laquelle mesure la quantité de revenus supplémentaires que le Canada peut générer à partir de chaque heure travaillée. Suivant les conseils de la Banque du Canada au début de 2024, le gouvernement indique qu’il mettra en œuvre des mesures pour stimuler la productivité du Canada, notamment : 

  • Inciter les entreprises à investir dans des infrastructures favorisant la productivité, grâce à un ensemble de crédits d’impôt à l’investissement, et la possibilité pour les entreprises d’amortir immédiatement le coût total des actifs favorisant la productivité, tels que les brevets, les équipements d’infrastructure de réseaux de données, les ordinateurs et les équipements de production de rapports.
  • Renforcer la confiance des entreprises pour qu’elles investissent au Canada et y prennent de l’ampleur en tirant parti des atouts du Canada pour attirer les investissements des entreprises, en favorisant un environnement stable propice aux investissements, en réduisant les formalités administratives, et en proposant des objectifs législatifs entourant l’approvisionnement pour les petites et moyennes entreprises.
  • Bien que le gouvernement prévoie un nouvel incitatif aux entrepreneurs canadiens afin de leur offrir un allègement fiscal (en réduisant le taux d’inclusion des gains en capital admissibles à 33,3 % sur une somme maximale à vie de 2 millions de dollars), il a également annoncé son intention de faire passer de la moitié aux deux tiers le taux d’inclusion des gains en capital réalisés annuellement supérieurs à 250 000 dollars, ce qui a suscité des réactions hostiles de la part de la communauté des entrepreneurs canadiens, certains estimant que cette politique aura pour conséquence involontaire d’augmenter le coût de la création d’une entreprise au Canada et donc de décourager les entreprises innovantes d’être fondées au Canada et de s’y implanter. 

Politique et programmes de soutien à l’industrie canadienne de l’intelligence artificielle  

Constatant la force significative du Canada dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) et la vigueur de l’emploi dans ce secteur, le gouvernement a proposé un ensemble d’investissements de plusieurs milliards de dollars pour soutenir le développement et l’adoption de l’IA au Canada. Le gouvernement propose donc les mesures suivantes :  

  • Lancer le « Fonds d’accès à une puissance de calcul pour l’IA » de 2,4 milliards de dollars et la « Stratégie du Canada sur une puissance de calcul pour l’IA », qui aideraient les entreprises en démarrage et en expansion ainsi que les chercheurs canadiens à accéder à la puissance informatique qui leur est nécessaire. Une pénurie de ressources informatiques nationales réduirait vraisemblablement la capacité des entreprises en démarrage à se développer au Canada, les encourageant à déménager leurs bureaux ou leurs sièges sociaux à l’étranger afin de croître.  
  • Fournir un soutien de 200 millions de dollars afin d’inciter les entreprises en démarrage du domaine de l’IA à mettre en marché de nouvelles technologies afin d’accélérer l’adoption de l’IA dans des secteurs critiques comme les technologies propres, les technologies de la santé, l’agrotechnologie et la fabrication de pointe. En outre, 100 millions de dollars ont été réservés pour soutenir le programme d’aide à l’IA du Conseil national de recherches Canada, qui aide les innovateurs à développer de nouveaux produits d’IA en vue de leur commercialisation. Il est important d’axer les investissements dans l’IA sur des secteurs stratégiques — en particulier ceux qui ont des liens géographiques étroits avec le Canada : une recherche du CTIC datant de 2021 révèle que le fait d’être acquis par un acheteur étranger est une forme courante de sortie pour les entreprises en démarrage dans le domaine de l’IA au Canada. Dans un ensemble de données de 209 entreprises canadiennes en démarrage dans le domaine de l’IA que le CTIC a compilé en 2021, celles qui ont été acquises par une entité américaine par rapport à une entité canadienne étaient plus susceptibles de détenir de la PI, comme des brevets et des marques de commerce, et ont reçu, en moyenne, près de deux fois le montant du financement gouvernemental.
  • Fournir 50 millions de dollars pour créer un institut canadien pour la sécurité de l’IA et 3,5 millions de dollars pour mettre en avant le rôle de chef de file du Canada grâce au Partenariat mondial sur l’intelligence artificielle. D’ailleurs, un montant supplémentaire de 5,1 millions de dollars a été alloué à la mise en œuvre de la Loi sur l’intelligence artificielle et les données

Relever les défis que pose la technologie dans l’économie numérique du Canada

Le budget 2024 s’attache à relever un certain nombre de défis liés à la technologie dans l’économie numérique du Canada, notamment le manque de réparabilité et d’interopérabilité des appareils TIC, les risques croissants en matière de cybersécurité et le manque d’options bancaires axés sur la clientèle. Plus précisément, le gouvernement prévoit les mesures suivantes : 

  • Renforcer le droit de réparer des appareils et dispositifs électroniques au Canada en se concentrant sur la durabilité, la réparabilité et l’interopérabilité. Le gouvernement lancera des consultations afin d’élaborer un cadre du droit à la réparation et de soutenir les efforts visant à modifier la Loi sur le droit d’auteur pour permettre l’interopérabilité entre les appareils et les équipements agricoles. Il a également invité les provinces à mettre en œuvre un droit à la réparation.
  • Soumettre les grandes plateformes en ligne à une obligation d’agir de manière responsable et de réduire l’exposition des utilisateurs à des contenus préjudiciables. Le gouvernement prévoit accorder 52 millions de dollars à Patrimoine canadien et à la GRC, créer une commission à la sécurité numérique, et désigner un ombudsman de la sécurité numérique pour soutenir cet effort.
  • Fournir 1 million de dollars à l’Agence de la consommation en matière financière du Canada pour préparer le cadre des services bancaires pour les gens du Canada et lancer une campagne de sensibilisation publique. Le cadre exigera des institutions bancaires et des sociétés de technologies financières qu’elles offrent aux gens un moyen de partager en toute sécurité certaines données avec les plateformes et outils de leur choix.
  • Fournir 11,1 millions de dollars au Conseil du Trésor du Canada pour mettre en œuvre une stratégie pangouvernementale en matière de cybersécurité qui garantit que le gouvernement est bien outillé pour lutter contre les cybermenaces. Le budget propose également de fournir 27 millions de dollars au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) en vue d’améliorer sa cybersécurité et d’assurer la mise en œuvre de mesures de protection des données.
  • Modifier la Loi sur les télécommunications afin d’interdire aux fournisseurs de services de facturer des frais de transfert aux consommateurs qui changent de fournisseur de service Internet ou de téléphonie résidentielle ou cellulaire. Bien qu’il s’agisse d’un pas dans la bonne direction, un secteur des télécommunications plus concurrentiel est nécessaire pour que les Canadiens aient accès à des services de télécommunications de haute qualité et abordables, et puissent participer globalement à l’économie numérique. 

Encourager le développement économique durable sur le plan de l’environnement  

Le budget de 2024 propose un certain nombre de politiques et de programmes favorisant l’économie verte du Canada et visant à rendre la société et l’économie canadiennes plus durables, notamment : 

  • Un nouveau crédit d’impôt à l’investissement dans les véhicules électriques (VE) de 10 % à l’investissement dans les installations utilisées pour assembler des VE, produire des batteries de VE et les matériaux connexes. Le budget de 2024 propose également de fournir 607,9 millions de dollars comme paiement complémentaire au titre du Programme d’incitatifs pour l’achat de véhicules zéro émission.
  • Un nouveau crédit d’impôt à l’investissement dans l’électricité propre égal à 15 % des investissements dans l’équipement ou les rénovations liés à la production d’électricité à partir de l’énergie éolienne, solaire, hydraulique, géothermique, nucléaire, de la biomasse résiduelle ou du gaz naturel avec captage et stockage du carbone; au stockage fixe de l’électricité; et au transport de l’électricité entre les provinces et les territoires.
  • Un financement de 3,1 milliards de dollars pour la recherche en sciences nucléaires et l’assainissement des sites. En outre, un engagement à soutenir la capacité du Canada à produire de l’énergie nucléaire, à exporter la technologie des réacteurs nucléaires et à développer et déployer la technologie des petits réacteurs modulaires. Comme l’indique le rapport du CTIC sur l’énergie propre, l’énergie nucléaire sera essentielle pour aider le Canada à atteindre ses objectifs en matière de carboneutralité.
  • Environ 1,276 milliard de dollars pour soutenir des projets de combustibles propres et la production de biocarburants, distribués par l’intermédiaire du Fonds pour les combustibles propres et de la Banque de l’infrastructure du Canada.
  • Environ 237 millions de dollars de nouveaux fonds pour soutenir la R. et D. sur les matériaux de construction innovants et à faible teneur en carbone. En outre, 903,5 millions de dollars seront versés à Ressources naturelles Canada pour soutenir la rénovation écoénergétique résidentielle. 

Cet exposé fait partie d’une série de mises à jour sur les politiques du CTIC. Le CTIC présente des mises à jour en temps opportun sur les politiques et les développements politiques au Canada, y compris les campagnes électorales fédérales, provinciales et territoriales, les énoncés économiques de l’automne, les budgets annuels et d’autres renseignements importants entourant des politiques et des programmes. Le présent exposé a été édigé par Erik Henningsmoen et Mairead Matthews, avec le soutien généreux de l’équipe Recherche et politiques du CTIC.