Pleins feux sur l’inflation et la dynamique du marché du travail numérique

Les fêtes de fin d’année sont généralement l’occasion de se faire plaisir, mais les entreprises et les ménages au Canada ont davantage cherché à se serrer la ceinture cette année. Une combinaison de facteurs a fait que l’inflation en 2022 a atteint des niveaux qu’on n’avait pas vus depuis le début des années 1980 (en anglais) : des mesures de stimulation monétaire et budgétaire expansives pendant la pandémie, la demande refoulée par les confinements de 2020 et 2021, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale et la guerre en Ukraine. Bien que la Banque du Canada ait tenté d’empêcher l’inflation de s’emballer en procédant à une série de hausses des taux d’intérêt en 2022, la rapidité de ces hausses et la persistance des pressions inflationnistes font que la plupart des Canadiennes et Canadiens s’attendent à un ralentissement économique en 2023.

L’inflation a commencé à redescendre après le sommet atteint en juin, mais elle reste très élevée (bien au-dessus de la fourchette cible de la Banque du Canada) et généralisée (en anglais). De plus, bien que les prix de l’énergie et des produits de base aient diminué au cours des derniers mois, une grande incertitude demeure à court terme (en anglais). En outre, l’anticipation inflationniste à court et à moyen terme (en anglais) reste également ancrée à des niveaux bien supérieurs à la fourchette cible de 1 % à 3 % de la Banque du Canada, ce qui implique que les taux d’intérêt resteront probablement élevés à court terme et pourraient encore augmenter au cours des prochains mois.

Le resserrement monétaire accru combiné à l’érosion du pouvoir d’achat due à l’inflation va sans aucun doute freiner les dépenses des ménages et l’investissement résidentiel. Les dernières estimations des comptes économiques du secteur des ménages montrent déjà que l’épargne a diminué par rapport à 2020 et 2021 pour les ménages de tous niveaux de revenus. Le marché canadien de l’habitation s’est également refroidi au cours des derniers mois. Toutefois, cela n’est pas complètement surprenant compte tenu de la forte hausse des prix après la COVID-19, et il existe des exceptions régionales à la tendance générale. De nouvelles hausses des taux d’intérêt étant toujours possibles, le marché de l’habitation continuera à ralentir.

Bien que la plupart des secteurs industriels aient retrouvé, voire dépassé, les niveaux de PIB antérieurs à la pandémie, la croissance de la production a ralenti au cours de la deuxième moitié de 2022. À l’exception de quelques secteurs de services, la plupart des industries canadiennes ont vu la croissance d’un mois à l’autre s’arrêter à la fin de 2022, l’effet combiné des hausses de taux d’intérêt et de l’inflation persistante ayant freiné la demande. L’affaiblissement de la demande intérieure, conjugué au ralentissement du commerce international (en anglais) et au refroidissement de la demande aux États-Unis et chez d’autres partenaires commerciaux clés en Europe et en Asie, assombrit également les perspectives des entreprises. Plusieurs indicateurs de confiance des entreprises canadiennes (en anglais) montrent une baisse des perspectives à court terme. Les résultats de la dernière enquête de la Banque du Canada sur les perspectives des entreprises montrent qu’un nombre croissant d’entreprises canadiennes s’attendent à une baisse de leurs ventes cette année. La hausse des coûts de financement et l’incertitude sont également susceptibles de peser sur les investissements et les projets d’expansion des entreprises.

Cela dit, tous les signaux ne sont pas négatifs. Le marché du travail reste serré, avec un nombre élevé d’emplois toujours vacants malgré la hausse du chômage, mais cela indique probablement un problème à plus long terme lié au vieillissement de la population canadienne. Les dépenses discrétionnaires pour des services tels que les voyages et les loisirs, en particulier celles des ménages à revenu élevé, qui ont vu leur revenu disponible augmenter, devraient rester relativement élevées malgré les pressions inflationnistes. Il est intéressant de noter que le système de suivi de la croissance du PIB en temps réel de l’OCDE a révélé une hausse de l’activité économique récente au Canada. Pour l’instant du moins, plusieurs industries au Canada continuent de connaître une tendance de faible taux de chômage et un nombre relativement élevé d’emplois vacants, mais cela pourrait changer à court terme, car moins d’entreprises canadiennes ont déclaré avoir été confrontées à des pénuries de main-d’œuvre (en anglais) au cours des derniers mois.

En se concentrant sur le secteur de la technologie, nous avons vu que les nouvelles de licenciements importants chez les grandes actrices mondiales et les grands acteurs mondiaux de la technologie alimentent une conversation sur la question de savoir si le secteur est généralement dans une contraction à plus long terme. En 2022, plus de 5 200 licenciements ont été signalés dans le secteur canadien de la technologie et, depuis mai 2022, Indeed affiche une baisse d’environ 32 % des offres d’emplois liées à la technologie (en anglais), qui restent néanmoins supérieures à celles de 2020. Trois grands thèmes semblent lier ces licenciements : l’évolution des conditions macroéconomiques, les changements structurels au niveau des entreprises et les ajustements à l’embauche en situation de pandémie.

La hausse des taux d’intérêt a conduit les entreprises à réduire leurs activités, car les attentes en matière de dépenses et d’investissements changent. Amazon a récemment annoncé une nouvelle série de licenciements (en anglais) totalisant 18 000 personnes dans ses divisions du commerce électronique et des ressources humaines. L’entreprise invoquait l’évolution des attentes des consommatrices et consommateurs en matière de dépenses liées aux taux d’intérêt. Au Canada, les petites entreprises en démarrage dans le secteur de la technologie licencient des travailleuses et travailleurs (en anglais) pour renforcer la résilience de leurs activités. Les jeunes entreprises technologiques se font dire que le capital-risque se prépare à un changement des conditions du marché financier en raison des taux d’intérêt et que, par conséquent, il y aura moins de financement. Dans certains cas, on dit à ces entreprises qu’elles devront peut-être survivre deux ans sans investissement supplémentaire. Il reste à déterminer l’effet de l’augmentation de la valeur du dollar étasunien sur le marché canadien des talents (en anglais). Un dollar étasunien plus fort peut avoir une double incidence sur l’emploi dans le secteur des technologies au Canada : d’une part, les salaires en dollars étasuniens deviennent plus attrayants pour les talents canadiens, ce qui permet de les attirer plus facilement aux États-Unis; d’autre part, l’établissement ou l’expansion des activités au Canada devient relativement moins coûteux pour les entreprises étasuniennes.

D’autres licenciements qui ont fait la une ont été motivés par des changements structurels au niveau de l’entreprise dans les grandes sociétés technologiques. Notamment, les licenciements chez Facebook (Meta) sont motivés par sa poussée dans la réalité virtuelle et les défis liés à la publicité et au respect de la vie privée. Alors que les licenciements chez Twitter (en anglais) font partie d’une restructuration plus large vers une culture et une stratégie de talents axées sur l’ingénierie sous l’égide du nouveau propriétaire, Elon Musk. Ces licenciements ont moins à voir avec la conjoncture économique actuelle, mais ils surviennent à un moment où tout licenciement dans le secteur des technologies suscite des inquiétudes.

Le dernier thème concerne l’embauche période de pandémie, lorsque la demande accrue pour les services numériques a été stimulée par la transition vers le travail à domicile et la fermeture d’entreprises non essentielles. Shopify a fait la une en juillet lorsqu’elle a licencié un millier de travailleuses et travailleurs au début de l’année, mais une communication officielle de Shopify a indiqué qu’elle avait été trop ambitieuse en matière d’embauche (en anglais) et qu’elle avait surestimé l’ampleur de la croissance du commerce électronique alors qu’elle gérait une hausse de la demande de services pendant la pandémie. Les services numériques qui ont connu un boum pendant les fermetures sont maintenant confrontés à une correction du marché et, par conséquent, licencient du personnel en raison de la réouverture des espaces en personne.

Bien que les données du marché du travail pour les professions numériques au Canada confirment cette histoire de correction du marché, il y a encore beaucoup d’emplois vacants dans ces professions. En fait, plusieurs professions numériques clés font l’objet d’une demande excédentaire au Canada, les emplois vacants étant plus nombreux que les travailleuses et travailleurs sans emploi. Comme le montre la zone grise du graphique ci-dessous, les professions numériques clés telles que les analystes et consultantes/consultants en informatique (scientifiques des données, professionnelles/professionnels de la cybersécurité, etc.), les programmeuses/programmeurs et développeuses/développeurs en médias interactifs (développeuses/développeurs de logiciels, développeuses/développeurs de jeux, etc.), et les gestionnaires des systèmes informatiques (gestionnaires de produit, gestionnaires techniques, etc.) sont toutes en pénurie.

Malgré l’incertitude et le pessimisme économique à court terme, les perspectives de la demande à moyen terme (en anglais) pour l’économie numérique du Canada restent positives. De plus, l’élan pour relever le défi climatique mondial et passer à une économie carboneutre offre des possibilités supplémentaires aux industries canadiennes en écotechnologie, en agriculture numérique et en ressources propres. Pour concrétiser ces possibilités, il faudra un effort concerté des secteurs privé et public, et une politique de soutien axée sur le développement de la recherche et de la technologie, le financement et le développement des compétences.

Du côté de l’offre, le Canada dispose déjà de certains ingrédients clés. Il s’agit notamment d’établissements d’enseignement et de recherche de renommée internationale, de réserves abondantes de ressources essentielles, de bases industrielles bien établies dans les secteurs de l’agriculture, de l’énergie et des énergies renouvelables, et d’un solide bassin de capital humain. Parmi les pays du G7, le Canada compte la plus grande proportion de la population en âge de travailler ayant un diplôme collégial ou universitaire (en anglais), soit 57,5 %. De 2016 à 2021, un peu plus de 1,3 million de nouvelles immigrantes et nouveaux immigrants se sont installés de façon permanente au Canada et ont représenté les quatre cinquièmes de la croissance de la population active du pays. Au cours des cinq dernières années, le pourcentage de la population en âge de travailler détenant un baccalauréat ou un diplôme supérieur au Canada a augmenté de 4,3 % pour atteindre 32,9 %. Les immigrantes et immigrants admis au Canada depuis le recensement de 2016 étaient responsables de 2,1 % de la croissance de 4,3 %, 59,4 % des immigrantes et immigrants admis en âge de travailler ayant un baccalauréat ou plus.

Ces caractéristiques constituent des bases solides qui pourraient contribuer à soutenir la croissance de l’économie numérique du Canada, mais certains problèmes clés doivent être résolus. La demande de travailleuses et travailleurs de métiers spécialisés a atteint un niveau record en 2022, et cette tendance devrait se poursuivre au cours des prochaines années, car les derniers membres de la génération du baby-boom, qui représentaient 30 % des travailleuses et travailleurs de métiers spécialisés lors du recensement de 2021, prendront bientôt leur retraite. Cette situation menace l’économie numérique du Canada, car elle repose sur l’infrastructure construite par les travailleuses et travailleurs de métiers spécialisés. De plus, alors que les immigrantes et immigrants contribuent à élever le niveau d’éducation au Canada, elles et ils sont deux fois plus susceptibles d’être surqualifiés (en anglais) que les personnes qui possèdent un diplôme canadien. Veiller à ce que les voies d’immigration reconnaissent les compétences et diplômes étrangers - un problème de longue date (en anglais) – est essentiel pour que le Canada puisse tirer parti de l’avantage concurrentiel de sa main-d’œuvre.